Ceci est la retranscription d’une conférence donnée en 2017 aux AmFis d’été de la France insoumise. Je le republie aujourd’hui, comme introduction à une nouvelle série d’articles sur les outils numériques en politique, et aussi pour qu’elle soit accessible autrement que par sa source vidéo. Ce n’est pas un texte technique. Le contenu n’est pas très dense, ni complètement actuel.
« Comment a‑t-on a utilisé les outils numérique dans la campagne présidentielle ? » La première chose à souligner à ce sujet, c’est que tous les commentateurs semblent d’accord pour dire que nous avons fait une excellente campagne numérique.
Nous nous le sommes dit entre nous, mais cela s’est dit aussi dans les médias, et on l’a entendu des gens durant la campagne, y compris d’électeurs et d’électrices qui n’étaient pas d’accord avec nous, et qui comptaient voter pour d’autres candidats que Jean-Luc Mélenchon.
Nous avons fait une excellente campagne numérique sur deux plans. Le plan qui a été le plus visible, c’est celui de la propagande sur les réseaux sociaux, en particulier sur Youtube et Facebook. Mais nous avons aussi fait une excellente campagne numérique en utilisant Internet pour organiser l’action sur le terrain. Toute l’action du mouvement était en effet organisée par ce qu’on a appelé « la plateforme ».
La plateforme numérique
Qu’est-ce que c’est que la plateforme ? Quand on me demandait durant la campagne ce que je faisais dans l’équipe de campagne, j’avais l’habitude de répondre que je m’occupais de l’ensemble des outils qui étaient sur Internet et qui n’étaient pas les réseaux sociaux. C’est un ensemble très large d’outils : à la fois la plateforme de soutien qu’on pouvait trouver sur la page d’accueil, le site de don, le site de commande de matériel, la plateforme qui a servi à élaborer collectivement le programme, le Mélenphone (maintenant Fiphone) qui ont été construit en grande partie par le Discord insoumis, le site d’actualités tout simplement, le site qui permettait de faire des procurations, ou encore le dispositif qui permettait d’être délégué dans les bureaux de vote le jour de l’élection. Le plus important était sans aucun doute la plateforme des groupes d’appui.
Il est important de comprendre, face à cette liste d’outils, c’est qu’il n’y a aucune innovation technique majeure. Rien de tout cela n’était pas déjà techniquement faisable il y a deux trois ans, n’était pas techniquement faisable par les autres candidats au même moment. Nous n’avons rien inventé de ce point de vue. Ce que nous avons inventé, c’est une manière d’utiliser ces outils dans le cadre de la campagne présidentielle, pour réellement mettre en mouvement les gens qui participaient à la campagne et créer un mouvement qui en quelque sorte, s’auto-organisait sur cette plateforme.
Un autre point important, c’est qu’il n’y a pas de solutionnisme, il n’y a pas de spontanéité d’utilisation des outils. L’offre ne crée par la demande, pas plus dans l’économie en général que dans le numérique. Il ne suffit pas de mettre à disposition des outils pour que les gens s’en saisissent. Il faut partir du politique, et de ce que nous avons voulu faire avec le mouvement de la France insoumise. Ce que nous avons voulu faire, en premier lieu, était un mouvement sans bord, c’est-à-dire où chacun pouvait participer au niveau d’implication qu’il ou elle souhaitait. Nous avons traduit ça dans la manière dont nous avons construit nos outils.
Un mouvement sans bord qui s’auto-organise
Voici quelques chiffres qui montrent qu’il y a différents niveaux d’implication dans le mouvement : dans les premiers jours après le lancement de la plateforme le 10 février 2016, nous avons eu 20 000 personnes qui se sont inscrites – pas instantanément, mais à l’échelle de la campagne, vraiment dans les premières heures et les premiers jours. À la fin de la campagne, 500 000 personnes avaient donné leur adresse email et leur code postal sur la plateforme. 500 000 personnes s’étaient donc inscrite pour recevoir la lettre d’actu hebdomadaire et d’autres informations. 35 000 personnes s’étaient inscrites dans un groupe d’appui. Quand vous voyez le rapport que ça fait, ça veut dire que moins d’une personne sur 10 a décidé de participer sur le terrain à un groupe d’appui et la plupart ont juste décidé d’avoir quelques infos. Peut-être que ces personnes ont fait un don, peut-être que ces personnes ont fait une procuration, mais la manière dont les gens se saisissaient des outils venaient d’eux. Il n’y a pas de parcours type dans la manière dont sont construits les outils.
La manière dont nous avons construit les outils correspond à ce que nous voulons faire politiquement, et qu’il n’y avait aucune recette magique. Elle correspond à ce que nous voulons faire politiquement à la fois dans les objectifs et dans la forme. Quand je dis qu’il n’y a pas de recette magique, je pense à d’autres candidats qui ont pu mettre en place des outils qui étaient parfois même plus élaborés que les nôtres. Je pense à des candidats qui ont mis en place des outils pour faire du porte à porte, récolter des données sur ce que répondaient les gens quand ont toquait à leur porte… nous ne l’avons pas fait.
Pour plein de raisons, à la fois bien sûr par manque de temps et d’argent, mais aussi parce que nous avons pensé que ça n’avait pas forcément un intérêt politique énorme, et que ça ne répondait pas à une demande d’auto-organisation du mouvement. Le porte à porte en France est quand même quelque chose qui reste encore organisé très localement : les données socio-économiques qu’on peut avoir sont beaucoup moins précises qu’aux USA dont ces techniques sont importées. Orienter par un outil numérique les endroits où on va aller faire du porte à porte, les endroits où on va envoyer plus de personnes, est quelque chose qui ne sert pas à grand-chose en France, puisque souvent le porte à porte est organisé par des gens qui connaissent bien l’endroit où ils vivent, vont depuis parfois plusieurs années dans les mêmes immeubles, et ces personnes ressources là localement font très bien le travail.
Nous répondons donc à une demande dans la manière dont s’organise le mouvement, et nous laissons ouvertes toutes les possibilités de participation. Quand nous avons lancé le Mélenphone, cela s’inscrivait par exemple dans la campagne de deux manières. À la fois, cela venait après la campagne de l’hiver précédent, d’inscription sur les listes électorales, qui avait été faite avec les caravanes, puisque les premières campagne du mélenphone était des campagnes où on visait en particulier les zones où il y avait des fortes abstention. Et à la fois, cela permettait de participer à des gens qui s’étaient inscrits sur le site et qui voulait agir, mais qui ne souhaitaient pas forcement sortir de chez eux ou participer à des groupe d’appui.
C’étaient souvent des gens jeunes, qu’on pouvait retrouver sur le Discord et qui nous étaient venu par ce milieu là, de l’internet et du jeu vidéo : cela a permis à ces gens là de participer à la campagne dans une forme d’implication qui leur correspondait et qui n’était pas conditionnée au fait d’être inscrit quelque part, d’avoir payé une cotisation, où même d’être reconnu comme membre du mouvement par un groupe local ou quoi que ce soit. Il y a des gens qui comme action de soutien à la campagne, ont juste offert de prendre la procuration de quelqu’un, il y a des gens qui ont juste fait un don, il y a des gens qui ont juste combiné tout ça, et vraiment, la manière dont étaient construits les outils permettait qu’il n’y ait pas de hiérarchisation entre ces différentes formes d’implication. Ça correspond vraiment à ce qu’on voulait faire politiquement quand on a construit le mouvement de la France insoumise.
Il n’y a pas de recette magique, ça je ne sais pas si les autres candidats l’ont compris. J’ai participé une fois, j’avais été invitée une fois dans un cours de communication politique, dans une fac à Paris, par une prof qui avait invité aussi une femme qui travaillait pour un autre candidat et qui organisait sa campagne numérique. Elle était passée une semaine avant moi, et quand les élèves m’avaient posé des questions, ils m’avaient expliqué que pour elle, vendre ce candidat et vendre de la lessive c’était la même chose. Ce n’était pas du tout le cas pour nous. Je pense que c’est pour cela que nous avons été les meilleurs de tous les candidats dans la manière dont on a fait la campagne numérique. Le numérique a été abordé dans la conception même de la stratégie de la campagne et de construction du mouvement, comme quelque chose d’extrêmement important. Déjà, il avait été décidé que le mouvement se construirait sur une plateforme en amont du lancement de la campagne. Le 10 février 2016 quand Jean-Luc Mélenchon a annoncé sa proposition de candidature à la télévision, le site était près, et dessus il y avait déjà la plateforme pour faire les groupes d’appui, et il y avait déjà la plateforme de soutien. Cela permettait au mouvement de partir de rien. La France insoumise à ce moment là, n’avait aucune existence matérielle, on pouvait pas mesurer sa force. Il n’y avait pas de nombre d’adhérents ou quoi que ce soit de ce genre, et en quelques jours, il y a eu 20 000 personnes sur la plateforme, et plein de groupe d’appui qui se sont créés. Au moment où on devait être 20 000, il y avait déjà 500 groupes d’appui sur la plateforme. Il y en avait 3000 à la fin de la campagne, et il y en a quasiment 4000 aujourd’hui. C’était si vous voulez, ce qui allait donner dans les premiers jours sa force au mouvement et son existence dans la paysage politique.
La manière dont cela a été abordée était donc très différente d’autres candidats. À l’intérieur même de l’équipe de campagne, étant donné que mes collègues et moi, nous travaillions au siège avec le reste de l’équipe de campagne, nous étions capables de réagir très vite à ce qui pouvait se passer en terme tactiques dans la campagne. Nous avions besoin de savoir très vite si les choses que nous imaginions étaient techniquement possibles, et en combien de temps, sans avoir à passer par des prestataires qui feraient un devis, avec lesquels nous devrions échanger, etc. Cela nous a permis d’être très réactifs et en même temps, puisque je suis moi même développeuse, il n’y avait pas de problème de compréhension entre la technique et ce que nous voulions faire politiquement.
C’est intéressant de voir que d’autres candidats ont essayé certains outils de participation numérique etc, mais ne se sont finalement pas donné les moyens de le faire. Certains ont expérimenté comme nous de la commande matériel en ligne. Pour nous, cela était un élément très important : cela permettait que même si l’on était seul dans son coin sans autres soutiens à la campagne connus autour de soi, on pouvait quand même commander du matériel et aller boiter dans son immeuble sans faire partie d’un groupe d’appui. C’était très important qu’on puisse commander du matériel en ligne sans avoir à passer par une quelconque structure locale. D’autres ont essayé de faire ça, mais on sentait que les gens qui avaient conçu ça avaient pas vraiment compris les usages militants, notamment parce que les quantités minimales des commandes étaient bien supérieures à ce que peuvent distribuer une ou deux personnes.
Nous avions donc cette possibilité d’avoir au cœur de la campagne des gens qui comprenaient ce que nous faisions politiquement. Là aussi où nous avons été très différents des autres, c’est aussi dans la forme : les outils que nous avons utilisé, nous ne les avons pas utilisés comme on les auraient utilisés pour vendre de la lessive.
Vous avez peut-être entendu parler de NationBuidler : cet outil a été mis très en avant par les médias. Nous l’avons utilisé, mais ce n’était pas du tout le cœur de nos outils, et ça l’a été de moins en moins au court de la campagne : nous avons de plus en plus construit nos propre outils, développés par nous-même, qui étaient d’ailleurs du logiciel libre. Cela a servi à ce que nos outils répondent encore mieux à nos besoins, que ce que nous avions au départ. Dans NationBuilder, vous avez quelques fonctionnalités qui sont un peu craignos : quand vous vous inscrivez sur NationBuidler, Nation Builder peut trouver à partir de vos adresses e‑mails vos profils réseaux sociaux, en particulier votre compte Twitter et votre profil Facebook. Nous aurions pu savoir combien de fois vous avez retweeté Jean-Luc Mélenchon, combien de fois vous avez retweeté la FI, ce qui pourrait nous permettre éventuellement, avant une émission d’envoyer un mail à toutes les personnes qui ont beaucoup retweeté Jean-Luc Mélenchon dans les jours précédents, pour qu’elles participent à ce moment là à la campagne numérique qui se fait sur les réseaux sociaux pendant l’émission.
Nous aurions pu faire cela, mais nous ne l’a pas fait. Nous n’avons pas récolté de données à l’insu des gens, et nous avons désactivé cette fonctionnalité qui permettait de mettre en correspondance les adresses emails et les profils sur les réseaux. Nous avons récolté des données bien sûr, mais nous avons récolté des données uniquement sur une base déclarative. C’est à dire que si vous receviez un email vous incitant à participer sur les réseaux sociaux pendant telle ou telle émission à laquelle Jean-Luc Mélenchon participait, c’est que vous aviez coché sur le site la case « je suis intéressé par participer sur les réseaux sociaux », et pas pour une autre raison. De la même manière, nous n’avons jamais fait de ciblage en fonction de l’âge, du genre, ou de quoi que ce soit. Le seul ciblage que nous avons pu faire pour l’envoi de mail c’est un ciblage géographique, pour l’invitation à des événements locaux. C’est pour ça que nous vous demandions sur la page d’accueil, l’email et le code postal, le code psotal étant l’info la plus courte qui permet de vous localiser.
Nous avons donc utilisé les outils numériques d’une manière qui allait dans le sens aussi de la manière dont nous concevons le numérique, c’est à dire un numérique ouvert, qui respecte la vie privée, qui respecte les données des citoyens, et nous avons tenté aussi au cours de la campagne d’utiliser des outils libres, c’est à dire des outils dont tout le monde peut savoir comment ils fonctionnent que chacun peut modifie. L’ensemble de ces outils aujourd’hui sont accessibles sur internet, cela a permis notamment que des développeurs volontaires participent à la création et au développement de certains de ces outils.